
Quand abandonner une mécanique dans son jeu de société : la règle des 3 playtests
Créer un jeu simple, fun et profond, c’est un peu comme sculpter un bloc de marbre : au début, on enlève les gros morceaux. Puis vient le travail minutieux. Et parfois, il faut avoir le courage de gommer ce qu’on aimait.
Chez nous, ce principe s’est résumé à une règle simple :
👉 "Si au bout de trois playtests, une mécanique n’ajoute pas de fun ou de clarté, elle saute."
C’est radical. Mais c’est ce qui nous a permis de faire d’Oh Mon Dieu un jeu à la fois épuré, dynamique et retors. Dans cet article, on vous explique pourquoi.
🎯 L’obsession du design : profondeur + accessibilité
Dès le départ, notre ambition était claire :
Oh Mon Dieu devait être jouable en 15 minutes et rejouable pendant des années.
Un jeu qui plaise autant aux enfants de7 ans qu’aux ados ou aux adultes joueurs. Pas un "petit jeu", mais un jeu avec du répondant. Pas un jeu à lire, mais un jeu à vivre.
Pour y arriver, nous avons posé ce mantra :
“Une règle = une décision intéressante.”
Si une règle ne créait pas de tension, de rire ou de stratégie, alors elle n’avait pas sa place.
🧪 Le test des trois tables : notre filtre d’or
Durant le développement, chaque idée, chaque carte, chaque effet de règle passait un test :
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Première partie : effet de surprise. Est-ce que la mécanique intrigue ? Fait rire ? Bloque ?
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Deuxième partie : effet de fluidité. Est-ce que les joueurs s’approprient la règle sans relire ?
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Troisième partie : effet de profondeur. Est-ce qu’on voit des combos ou des tactiques émerger ?
Si à la troisième table, la mécanique passait encore pour "bizarre", "inutile" ou "compliquée", on tranchait. Sans pitié.
💣 Trois exemples de mécaniques abandonnées (et pourquoi)
❌ 1. Les "Objets Permanents"
Au départ, certaines cartes devaient s'attacher à des personnages et produire un effet continu :
ex. "Le personnage attaché à ce trône est immunisé aux effets adverses."
➡️ Problème : ils ralentissaient le rythme (on arrivait moins vite aux 5 légendes), et créaient une asymétrie bancale.
❌ 2. Les "followers"
On avait une idée de petits personnages secondaires (fans, sbires, dévots…) qui venaient soutenir les dieux en jeu.
Ils pouvaient être "attachés" à une carte principale pour en améliorer l’effet.
➡️ Problème : bonne idée… mais trop complexe pour un jeu à rythme rapide.
Décision : bye bye. Certains sont devenus des cartes classiques avec un effet unique, intégré dans le ton.
❌ 3. Les points de vie individuels
Classique : chaque joueur avait 10 PV. Quand tu tombes à 0, tu es éliminé.
➡️ Problème : pas très fun. L’élimination était vécue comme une punition.
➡️ Test 2 : les parties étaient soit trop longues, soit trop aléatoires.
➡️ Test 3 : on passait trop de temps à compter et peu à s’amuser.
Décision : zéro PV, zéro élimination.
🎉 À la place, on a mis une victoire instantanée via certaines cartes (Athéna), et le fait d'avoir une règle simple d'arrêt de jeu : 5 légendes devant soi au début du tour.
✂️ Moins de règles = plus d’univers
Chaque mécanique qu’on a retirée a laissé de l’espace pour la narration :
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Les cartes peuvent avoir des punchlines plus claires.
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Les parties racontent une histoire immédiate (pas juste des effets techniques).
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Le design graphique a pu être plus expressif et coloré, car rien n'est surchargé.
Et surtout, le jeu est raccord avec son ton : moderne, drôle, brutal, mais accessible.
🧠 Ce qu’on a gardé (et pourquoi)
On a bien sûr conservé des mécaniques fortes, testées et adorées :
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Les effets immédiats puissants (sans coût)
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Les cartes avec un "pouvoir unique"
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Le "swag" comme valeur simple et lisible
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L’interaction constante, à chaque tour
Chaque règle retenue a survécu au crash test des trois tables.
❤️ Bonus : les 3 phrases les plus entendues en playtest
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"Attends… je fais ça, et là tu dois me filer ta main?"
(Hélène, toujours un plaisir) -
"Tu m’as piqué Apollon alors que j’allais gagner avec lui !"
(Circé, la chamane préférée des traîtres) -
"On refait une partie ?"
(Le signal que tout ce qu’on a supprimé… on a bien fait.)
🎁 Ce qu’on a gagné en simplifiant
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Des parties de 15 à 20 minutes, pas plus
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Un public de 7 à 77 ans
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Des fous rires, des claques, du bluff et de la mauvaise foi
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Un univers où chaque carte a une personnalité forte
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Et un jeu où on peut tout expliquer en moins de 2 minutes
🧰 Le conseil pour les autres créateurs
Tu veux que ton jeu tienne dans une boîte compacte ?
Qu’il soit lu et compris par un enfant sans supervision ?
Qu’il marche en salon après 30 secondes de démo ?
Alors retiens cette règle :
Ce que les joueurs ne comprennent pas / n'aiment pas en 3 parties, tu dois le couper.
C’est dur, oui. Mais c’est le prix à payer pour qu’un jeu vive.
En conclusion
Créer Oh Mon Dieu a été une suite de choix, parfois frustrants, souvent éclairants.
Et la règle des 3 playtests nous a permis de ne jamais nous perdre dans nos propres idées.
On cherchait pas à faire un jeu efficace pour déclencher des émotions.
Et parfois, c’est en supprimant qu’on touche à l’essentiel.