Simuler des millions de parties : quand les développeurs de jeux vidéo testent leurs jeux de société

Simuler des millions de parties : quand les développeurs de jeux vidéo testent leurs jeux de société

Quand on pense à la création d’un jeu de société, on imagine souvent un créateur entouré de prototypes en carton, de meeples éparpillés sur la table, testant et retestant ses règles à la main avec des amis volontaires. Et c’est vrai. En partie. Car aujourd’hui, une nouvelle génération d’auteurs issus du jeu vidéo apporte avec elle des outils inattendus… et diablement efficaces. Parmi eux : la simulation algorithmique.

Oui, on parle bien de coder un script pour simuler des millions de parties. Oui, ça existe. Et non, ce n’est pas tricher. C’est même une façon passionnante (et puissante) de rendre un jeu plus juste, plus fluide, plus équilibré.

🎮 Quand le développeur rencontre le game designer

Dans les studios de jeux vidéo, l’équilibrage est un processus semi-industriel. Une mécanique qui génère trop de puissance ? Un sort qui n’est jamais utilisé ? Une classe qui écrase toutes les autres ? Pour tout cela, il y a des outils : télémétrie, analyse des comportements joueurs, et surtout… des simulateurs. On lance des scripts qui jouent des millions de fois pour détecter les failles.

Alors, quand un ancien développeur se met à concevoir un jeu de société, il apporte ce réflexe. Cette culture du test à grande échelle. Là où beaucoup d’auteurs doivent multiplier les prototypes papier et faire jouer des centaines de parties pour obtenir des statistiques fiables, un développeur peut… coder son jeu, et observer en quelques secondes ce qui se passe sur un million de parties.

⚙️ Concrètement, comment ça marche ?

Imaginons un jeu de cartes à effets multiples, avec des dés, des combinaisons, des interactions asymétriques. Un cauchemar pour tout équilibrer à la main. Le développeur va écrire un petit programme (en Python, C#, Lua, ou même Excel avancé) qui modélise :

  • Les règles de base

  • Le comportement de joueurs “moyens”

  • Les choix probables à chaque tour (aléatoires ou pondérés)

  • Le déroulement complet d’une partie

Puis, il lance la machine : 100 000, 1 million, parfois 10 millions de parties. Et là, il analyse :

  • Les taux de victoire selon les personnages

  • Les cartes qui ne sont jamais jouées

  • Les combos qui brisent le jeu

  • Les durées moyennes de partie

  • La “variance” (chance vs stratégie)

C’est un précieux détecteur d’anomalies. Une carte qui gagne 80% du temps ? Un personnage qui ne déclenche jamais son pouvoir ? Un combo de début de partie qui tue toute tension ? Le simulateur le dira.

Cela ne remplace pas les tests humains (loin de là), mais cela permet de faire des tests humains sur une version qui est a déjà subit un filtre ! On passe sur des tests plus intéressants : le ressenti... et les cas non trouvés par les scripts automatiques !

🔍 Un exemple concret

Prenons un jeu imaginaire nommé Western Sumo Brawl où les joueurs incarnent des sumo cowboy qui se font des duels avec pouvoirs asymétriques. Honda inflige des dégâts à tous, Tori pioche beaucoup, Bogoss détruit les cartes féminines… et chacun dispose de 10 cartes.

Le développeur code les interactions, donne à chaque “bot” des comportements semi-stratégiques (ex : “si je peux piocher, je pioche”, “si je peux faire perdre une carte, je le fais”)… et simule.

Après 500 000 parties, il découvre que :

  • Personnage A gagne 65% des parties, parce qu’il peut ramener des cartes de la défausse en boucle.

  • Personnage B ne gagne que 12% du temps : son pouvoir de charmer est trop lent à mettre en place.

  • Personnage C et D sont équilibrés à 48-52%.

Il rééquilibre. Il diminue la puissance de A, booste B, relance le simulateur. Nouvelle boucle.

Résultat : un jeu beaucoup plus juste avant même d’avoir fait 10 tests humains. Les vrais joueurs vont maintenant tester les sensations, les émotions, les intuitions, pas les bugs mathématiques.

🧠 Mais… ça enlève pas la magie ?

Pas du tout. La simulation ne crée pas le fun. Elle valide la structure. Le plaisir de jeu, lui, vient du ressenti réel : les décisions, les tensions, les rires. Ce que fait un script, c’est détecter les déséquilibres invisibles à l’œil nu.

Mieux : en éliminant les problèmes de fond, le créateur peut se concentrer sur l’expérience émotionnelle. Sur l’humour des cartes, la surprise d’un twist, la beauté d’un enchaînement.

Un bon simulateur ne remplace pas l’humain. Il augmente le test humain. Il permet d’aller plus loin, plus vite, et avec plus de confiance.

🧪 La règle des 3 tests : un autre usage

Certains développeurs utilisent aussi le code pour tester des variantes de règles. Exemple : faut-il qu’un pouvoir s’active une fois ou deux fois ? Est-ce que commencer avec 4 cartes en main, c’est mieux que 5 ? Doit-on piocher 1 ou 2 cartes par tour ?

En codant plusieurs versions du jeu, et en les faisant s’affronter, on obtient des réponses quasi scientifiques. Et parfois… des surprises. Une version qui semblait trop forte s’avère au contraire désavantagée sur le long terme.

📉 Limites de l’outil

Tout n’est pas parfait, bien sûr. Simuler des parties suppose :

  • Une modélisation correcte des comportements

  • Une connaissance des choix stratégiques humains

  • Une capacité à interpréter les données correctement

Un script mal écrit peut induire en erreur. Une IA “trop bête” fera des erreurs grossières. Et certains effets — bluff, alliance, vengeance — ne peuvent tout simplement pas être simulés.

Mais comme complément à un bon cycle de tests, c’est un outil redoutable.

🚀 L’avenir du playtest ?

On le voit déjà : des studios existants utilisent des outils statistiques, voire des simulateurs internes. Certains jeux en financement participatif sont testés avec des bots avant même d’être imprimés.

Pour les petits éditeurs, ce n’est pas une nécessité. Mais pour ceux qui viennent du jeu vidéo, ou qui aiment coder, c’est une mine d’or. Et une façon d’appliquer leurs compétences à un autre univers.

💡 En conclusion

Équilibrer un jeu, c’est long. C’est complexe. Et parfois frustrant.

Mais quand on sait coder… c’est aussi un jeu en soi. On construit une version numérique de son univers. On l’observe vivre, s’optimiser, s’ajuster. Et on arrive au bout avec un jeu plus fluide, plus juste, plus solide.

Alors non, la simulation ne remplace pas le plaisir du test avec des vrais joueurs autour d’une table. Elle ne rend pas un jeu 100% équilibré. Mais elle prépare le terrain. Elle nettoie les angles morts. Et elle permet à la magie… de s’exprimer pleinement.

Et ça, franchement, c’est un super-pouvoir.


De notre côté, Oh Mon Dieu n'a subit que des tests humains (plusieurs milliers de parties avant d'arriver à la version actuelle).

Notre prochain projet, dont on aura l'occasion de vous reparler dans les prochains mois, en revanche, a déjà été joué des millions de parties... avec des scripts.


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